Une odeur de moisi s'échappait du mur humide et noir à gauche, tandis que celui de droite à peine éclairé par une enseigne quelconque dans la ruelle, était recouvert de mousse, de champignons et de lichens malsains. Un peu plus loin, dans la pénombre, s'agitait une créature. April s'était figée aux premiers sons de remues-ménages, et regardait maintenant sans bouger, la main crispée sur son sac, la forme étrange fouiller dans la poubelle. Au bout d'un long moment, elle se décida à faire un pas. L'anima détala soudain en la faisant sursauter, renversant tous les détritus au sol dans un bruit de métal et de papiers froissés. Une canette de bière vide roula jusqu'au perron du piteux hôtel en face.
April lâcha un soupir de soulagement. Ce n'était qu'un animal, pas un de ces repoussants cyborgs exotiques. Elle avança jusque sous l'enseigne verte lumineuse en fixant l'endroit où s'était trouvé la créature quelques secondes plus tôt, et mit pied sur le perron. Deux lettres manquaient sur le panneau lumineux, et la lueur qui en crépitait, indiquait que le gérant n'avait pas payé sa facture d'électricité: il devait piquer sur un générateur de secours ou alterne d'un bâtiment voisin. En se concentrant, on pouvait encore deviner ce qui y était écrit: Spashblast Motel.
L'adolescente s'était longtemps demandé ce que signifiait Spashblast, mais même le teneur de l'hôtel ne semblait pas savoir. Il avait hérité du bâtiment, ne l'avait pas renommé, point barre. Elle entra.
Le hall n'avait pas changé depuis le matin, et bien que plus de douze heures se soient écoulées depuis son départ, April nota que le réceptionniste n'avait pas bouger d'un yota. Toujours un cigare à la bouche, les mêmes yeux rouges de junkie, les pieds sur le comptoir.
La salle minuscule n'avait pas non plus été lavée: de la poussière s'était déposée partout, et elle paraissait tenace. Vieille. Au sol, sur les murs, sur les meubles, le comptoir. April aurait juré que le gardien en avait aussi dans les cheveux. Cela empestait l'humidité.
-V'là la p'tiote Elin! T'restes une nuit d'plus à c'que j'vois. Tu connais l'ch'min jusqu'à ta chambre.
La voix résonna contre le faux marbre de la pièce, sans que les lèvres de l'homme affalé à l'accueil n'aient laissé tomber leur cigare. April se demanda comment il pouvait aligner plus de trois mots avec la dose de stupéfiant qu'il devait avoir dans le sang, tout cela en gardant son hâvane au bec.
Elle ne répondit pas et se dirigea vers les escaliers. Quatre nuits qu'elle dormait dans ce taudis. C'était le moins cher, même si clairement pas le plus luxueux. Cela suffisait.
Elle monta les marches de bois sec quatre à quatre, celles-ci craquèrent sous ses pieds. Elle préférait son ancien "chez-elle", où tout était en carbone poly-extensé, en métal ou en plastique travaillé. Ici, c'était antique, hideux, humide. Et sombre.
Elle déboucha sur le couloir du premier étage, plongé dans l'obscurité. Aucune lampe. Tout était désert. Tout semblait toujours désert ici. Elle entra dans sa chambre, la huitième, au fond.
L'adolescente attendit quelques secondes que la lumière s'allume, une simple ampoule nue au plafond, et que le grésillement du fil s'arrête, puis elle entra. Elle referma la porte de fer derrière elle. L'insonorisation était catastrophique avec ces battants. La lumière passait dessous, tout autant que les sons. Elle soupira et s'assit à même le sol, posant son sac à côté d'elle. Elle l'ouvrit et en tira une boîte de fastfood en carton, ornée d'un affreux logo de vache et d'une phrase rose capitaliste "CowHung™ luvs eat meat!". Elle débala l'infâme nourriture qu'elle se mit à ingurgiter sans un bruit, scrutant son sac. Le fusil d'assaut y était toujours. Elle ne savait pas quoi en faire. S'en débarrasser constituait une mauvaise idée, elle devait pouvoir se défendre dans ces quartiers. Mais, elle ne savait pas s'en servir...
Elle détourna son regard sur la bouffe qu'elle avait entre les mains. Elle en ôta lentement les doigts de sa main gauche qu'elle déplia avec délicatesse, puis referma brûtalement. Il fallait qu'elle trouve une solution pour se tirer de là. C'était urgent.