De passage

Rebirth.

Son dôme à la con, sa population débile, ses bars miteux.

Ramassis de trouillards pas foutus de mettre un pied dehors, mais qui s'amusaient à jouer aux durs en formant des gangs qui rappellaient à Hayden son court passage dans les rues de NY. Au final, une sacrée bande de dégénérés qui faisaient bien le jeu du système. Elle ne les aimait pas. Elle n'aimait pas cette foutue ville, ni les gens qui l'avaient construite, ni ceux qui avaient détruit l'écosystème pour en arriver là. Pourtant, paradoxalement, c'était grâce à eux qu'elle trouvait toujours du boulot. Si l'humanité n'était pas un ramassis de salopards, elle serait au chômage technique. Au fond, elle n'était pas meilleure qu'eux. Peut-être même pire. Elle faisait de la connerie son fonds de commerce.

Ce furent ses pensées lorsqu'elle poussa la porte de cette décharge à ordures vivante qu'était The Underground. Sa silhouette, se détachant sur l'extérieur du bar, évoquait quelque vision de mauvais film post-apocalyptique. Un long manteau de cuir élimé qui la protégeait du sable pendant ses voyages à l'extérieur, sur un pantalon de treillis noir surmontant des bottes de combat qui avaient été dûement frappées l'une contre l'autre pour enlever la poussière du désert qui trahirait sa provenance. En haut, un éternel débardeur gris qui aurait agréablement moulé ses formes si elles n'étaient pas planquées sous le manteau. Le sac qu'elle portait en bandouillère, un grand truc en tissu noir, portait encore certaines des lettres qui avaient formé son nom à l'époque où elle bossait pour Blackwater. En blanc sur le fond anthracite, ça donnait quelque chose comme : L t. H den C e. Avec le logo de la firme à côté, à moitié effacé lui aussi.

Tout ça était surmonté de son visage, encadré par des cheveux plus ou moins bien coiffés mais surtout animé d'un regard si froid et inexpressif qu'on aurait dit qu'il pouvait, à lui seul, résoudre le problème de l'élévation du niveau de la mer en recréant la banquise. Ses yeux balayèrent la bande de cinglés qui peuplaient ce tripot pourri. Un mec qu'elle avait sauvé d'un braquage le lui avait conseillé pour la possibilité de s'y faire du fric facile, à condition de savoir cogner : ça l'intéressait. D'un pas calme mais décidé, elle traversa la pièce jusqu'au bar. Ses deux seuls mots à l'égard du barman furent tels :

- Une bière.

C'était plus une affirmation qu'une demande. En attendant, elle continuait à jeter un oeil alentour. Les réserves de son groupe de nomades actuel étaient au plus bas, elle avait donc employé un passage clandestin pour entrer, laissant son chien à l'une des rares personnes de confiance du "clan" pour trouver un boulot mal payé qui lui permettrait de ramener un peu de bouffe. Elle aurait pu tout simplement acheter la nourriture avec ses économies, mais, d'une part, elle les gardait pour sa retraite - qui devrait se situer sur une quelconque île du Pacifique, à condition d'avoir les moyens - et, d'autre part, malgré tout le mal qu'on pouvait en dire, la ville la changeait un peu. Ca lui ferait des vacances. Ce fut lorsque le barman revint avec sa boisson qu'elle décida d'en venir au fait.

- On m'a dit que y'avait du fric à gagner, ici.

Il saurait sans doute de quoi elle voulait parler.

Hayden fixa le barman de son regard neutre qui ne vacillait pas d'un demi-millimètre, puis le tourna vers l'autre mec. L'archétype du balaise entouré de gonzesses toutes plus connes les unes que les autres, qui s'accrochaient misérablement et pathétiquement à lui, à sa volonté et surtout à sa bite pour espérer survivre plus de trente minutes dans ce foutu monde. Toute cette merde lui inspirait un mélange poisseux de dégoût, de rage et de pitié. Que des bons sentiments, quoi. En plus, elle avait beau se forcer, elle voyait pas vraiment ce qu'elles lui trouvaient... Mais ceci est un autre problème.

- T'en fais pas pour moi, dit-elle simplement au mafioso de service avant de se diriger vers sa nouvelle cible, bière à la main, d'un pas parfaitement détendu.

Bientôt, la mercenaire se tenait devant le mec, de l'autre côté de sa table. Pour bien faire sentir sa présence, elle y posa sa bière après avoir bu une gorgée, faisant faire un petit "clac" au contact du verre sur celle-ci. Les yeux fixés sur lui, elle prit ensuite la parole :

- C'est toi qui t'occupes des combats ?

La question était accompagnée d'un petit mouvement du menton vers lui. Son air était toujours déterminé. Hayden n'était pas impressionnée par la dégaine du soi-disant biker, ni par tout le bordel qui régnait ici, ni par ce qui allait sans doute arriver par la suite. Au contraire. Elle sentait qu'elle allait aimer ça.

Le genre d'histoires que pouvait raconter le biker étaient du pain quotidien pour Hayden. Elle ne s'y intéressa pas. Après tout, elle avait vu des miliciens trancher des têtes de bébés à la machette, des cinglés se faire exploser en plein marché pour une cause quelconque, d'autres ouvrir le feu sur des bus d'écoles et d'autres encore violer des gamines de cinq ans pendant des heures, alors ses petites conneries, il aurait franchement pu se les foutre au cul. Elle fit également en sorte de laisser passer la référence aux alcooliques violents, avec lesquels elle avait un problème d'ordre personnel, avant de lever un visage déterminé vers lui alors qu'il se levait.

Les conditions lui allaient. Elle s'imaginait que ce serait à mort, et n'aurait d'ailleurs pas rechigné à tuer, mais c'était aussi bien comme ça. Comme quoi ils n'étaient définitivement pas aussi durs qu'ils s'en donnaient l'air. Elle l'écouta donc sans rien dire, avant de reprendre sa bière pour la finir en une traite lorsqu'il l'attendit près du couloir. Le show. Ouais. Tout ce qu'elle voyait, c'est que paie semblait intéressante et les risques limités au vu des branleurs locaux. Elle s'avança donc à sa suite pour descendre au sous-sol de son pas calme et déterminé. Déjà, ses nerfs s'étaient tendus d'un cran. Une sorte d'excitation malsaine, une pulsion de mort qui allait sans doute bientôt devenir irrépressible, montait dans ses tripes. Une pulsion qui n'avait rien à voir avec le sexe ou avec un quelconque plaisir. L'instinct du tueur se réveillait en elle, comme rappellé à l'ordre lors d'un sommeil trop profond à son goût. Il lui donnerait envie de sang, il lui donnerait la force de se battre jusqu'aux limites de son corps, il lui ôterait toute notion de pitié, de compassion ou d'humanité, le tout multiplié par les cris de la foule et les violentes décharges d'adrénaline qui l'habiteraient.

En bref et toute poésie mise à part, elle était bien décidée à transformer l'endroit en une véritable boucherie, si ce n'était pas déjà le cas. Et si ça l'était vraiment, un boucher de plus entrerait dans la danse. Plus on est de malades, mieux on crève.

Alors qu'elle descendait les marches, ce fut un regard calme, mais empreint d'une lueur prédatrice, qui se posa devant elle et analysa son environnement. Un regard où n'importe qui d'impressionnable aurait pu voir briller le métal de la faux de la Mort elle-même. Une fois en bas, elle s'inscrirait sur la liste sous le nom de Squale, et déposerait armes, veste et bagage dans l'endroit prévu pour en attendant le résultat du tirage au sort avec une forme d'impatience contrôlée, celle du vétéran qui en a trop vu et qui pourtant en redemande encore.

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Pas de mort. Ouais, elle l'avait déjà compris. Il faudrait qu'elle bride sa hargne un bon coup pour éviter de les buter. Au pire, il n'avait pas parlé des mutilations, des crevages d'yeux, des castrations. Fallait espérer qu'elle se contrôle assez pour que ça suffise à apaiser sa soif de sang. Elle acquiesça silencieusement aux instructions du mec, avant de se diriger vers le fil de fer vivant. Aux sifflements, sa seule réponse avait été une indifférence parfaitement hostile. Elle n'avait rien à foutre de l'avis de ces connards. De toutes façons, c'était pas vraiment son genre. Alors qu'elle avançait, son regard balaya les quelques combattants déjà présents, afin de dores et déjà les jauger.

D'un geste de court balancier, Hayden déposa son sac à côté du bureau du type, avant de sortir son pistolet de l'arrière de son pantalon, de le désarmer et de le poser dessus. Bientôt, sa veste en cuir rejoignait son sac, dévoilant des bras féminins mais musclés, ainsi que son tatouage militaire à l'avant-bras droit. La peau était tannée, le muscle ferme et finement dessiné, laissant entrevoir les veines qui couraient sous son épiderme en de légères sinuosités bleues. Le débardeur, quant à lui, moulait un corps mince mais qu'on devinait solide. Loin d'être la camionneuse de service, elle restait agréable à regarder, à condition quand même d'aimer les femmes à qui on ne la fait pas. Enfilant des mitaines en cuir noir sorties d'une poche, elle décida de se présenter.

- Hayden Cole. On m'appelle Squale. Tu m'inscris et tu surveilles le matos.

Le ton, encore une fois, était celui de l'affirmation. Habituée à commander des hommes, Hayden avait la voix ferme et directe, le genre à qui il est impossible de dire "non" à moins d'avoir une bonne paire de burnes. Elle s'affirmait avec une sûreté impressionnante, et y prenait d'ailleurs pas mal de plaisir, ayant travaillé cette apparence année après année. La femelle Alpha de base. Sans doute aurait-elle fait fantasmer des centaines d'hommes faibles à la recherche de plaisir masochiste, mais, malheureusement pour eux, ce n'était pas son truc.

Pas avec les mâles, en tous cas.

Hayden se positionna face au mec, les poings déjà serrés et les muscles tendus. Lorsqu'il se mit en garde, elle en fit de même en une position répétée des centaines de fois, qui n'était pas vraiment nécessaire. En combat réel, on a rarement le temps de se mettre en garde avant que les choses amusantes commencent.

Ce connard avait une tête d'abruti avec sa coiffure à la con, et elle comptait bien lui montrer que c'est pas en gigotant comme un asticot qu'on arrive à quelque chose, dans la vie. La boxe, le jeu de jambes et toutes ces conneries, c'était pas pour elle. Disons-le carrément : si Hayden était souple et rapide, elle était beaucoup plus statique que son adversaire. Ca ne l'empêchait pas de sentir son excitation monter encore d'un cran. Elle sentait les regards des supporters, en palpait la tension et s'en nourrissait, comme d'une électricité malsaine qui allait parcourir et énergiser son corps. Les choses empirèrent encore lorsqu'elle entendit le "BASTOOON" de départ, et tout ce qu'elle répondit à la remarque de son adversaire fut un sourire en coin tordu. Un sourire qui montrait qu'elle allait aimer ça plus que tout.

Lunatik fonça sur elle dès le signal de départ, vif comme une réincarnation sanguinaire de Fred Aster, pour lui placer un double direct du gauche à la mâchoire, qu'elle dévia d'un mouvement instinctif du bras droit tout en approchant au contact, rapide comme l'éclair. Dans la même seconde, un coup de genou de la jeune femme allait le cueillir au bas du ventre tandis qu'elle se plaçait sur son flanc et Hayden s'apprêtait déjà à enchaîner par une mise à terre lorsque l'autre riposta par un coup de coude juste sous l'oreille. Il ne connaissait pas que la boxe.

Un coup de coude, ça fait putain de mal, même quand on a un treillis synthétique sur les os pour se protéger. Etourdie pour le coup, Hayden eut à peine le temps de se retourner qu'elle se prenait un coup dans le côtes flottantes, suivi d'un direct au visage qui, outre le fait d'ouvrir sa lèvre supérieure, la força à reculer légèrement vers le public. Le troisième coup put être dévié de justesse, ses réflexes aidant. Elle contre-attaqua tout en parant, en deux mouvements simultanés, cognant durement l'autre à l'arcade sourcillière. Juste après, la main qui avait paré l'attaque saisit le bras pour le tordre brutalement, le poing gauche entamant une sorte de martèlement rageur accompagné d'un rictus mauvais et de légers grognements, du genre pur tabassage sans concession. Les coups avaient réveillé son instinct, ses souvenirs et sa rage. Ses yeux étaient rougis, sa mâchoire serrée. C'était pas pour rien qu'on l'avait virée de l'organisation de mercenaires : Squale pétait des câbles à répétition quand ça chauffait, et fallait avouer que sur le coup, non seulement c'était meilleur que le sexe, mais en plus, c'était bien utile.

Evidemment, l'autre finit par réussir à bloquer le bras qui frappait, avant de lui infliger un violent coup de boule qui dut péter l'arcade de la jeune femme sur le coup, entraînant en tous cas une hémorragie qui, si elle était sans risque, traça rapidement une ligne rouge sur le côté de son visage. Mais Hayden n'en n'avait rien à foutre. Elle riposta par un coup de boule, de la même façon et en se pétant un peu plus l'arcade, avant de dégager son bras, ce que l'autre avait aussi eu le temps de faire.

Les deux adversaires se remirent en garde, à distance plus respectable. En quelques secondes qui semblèrent une éternité, ils se toisèrent, tournant légèrement pour trouver une opportunité. Quelques coups furent échangés, qui ne firent qu'éprouver légèrement les gardes respectives, avant qu'Hayden ne décide de foncer dans le tas. Tant pis pour sa gueule.

Elle dévia de justesse un coup qui devait la choper au visage avant de cogner l'autre brutalement à la mâchoire à deux reprises. Un low-kick frappa son tibia, ne servant qu'à l'énerver encore un peu plus alors qu'elle enchaînait par un coup de coude à bout portant droit dans le nez, du genre à le renfoncer dans le crâne si elle y avait été ne serait-ce qu'un peu plus fort. Profitant de son avantage pour déborder l'ennemi, elle le fit valser au sol base du crâne la première en un balayage soudain, main sur sa gueule et doigts dans les yeux pour bien être sûre que la tête touche le sol avant le reste du corps. Ayant saisi un bras qui passait par là, elle finit le travail en un coup de pied violent sur le coude qui se brisa net avant de lui mettre le même talon en pleine gueule, laquelle était prise entre le sol et sa botte militaire, sans aucune retenue et avec un cri de rage.

Se redressant, elle continua à respirer nerveusement, comme un pitbull qu'on aurait arrêté de force en plein combat. Elle avait du mal à stopper, et ça se voyait. S'éloignant malgré elle du mec qui n'était normalement pas mort, elle s'avança vers la place dans le public qui était la sienne, sans aucune autre formalité ni salut. Le travail était fait. Maintenant, elle attendait sa paie.

Hayden avait passé le reste des combats à observer d'un oeil plus ou moins indifférent les barbares se mettre sur la gueule, après avoir dûement épongé ses plaies au visage. Son arcade était pétée au moins en deux endroits, mais elle s'en foutait pas mal, c'était pas sa première fois et ce serait pas la dernière. Avec toutes les fractures qu'elle avait eu dans sa vie, une radio aurait sans doute ressemblé davantage à un puzzle qu'à la représentation d'un squelette, de toutes façons.

Elle prit le fric sans mot dire. C'était plus qu'elle ne l'espérait. A la proposition de recommencer, elle acquiesça par un simple signe de tête silencieux. Bien sûr, qu'elle reviendrait. C'était son truc.

Comme après chaque combat violent, le Squale se sentait comme vide. Une sorte de sérénité avait succédé à l'excitation et à la rage, accompagnée d'un détachement difficilement définissable. Un vide pensif, du genre de celui qu'on ressent après la baise. Ses muscles s'étaient réveillés, la tension qu'elle y avait accumulé s'était évaporée alors qu'elle se défoulait sur la gueule de l'autre ahuri, son esprit, s'il était toujours aussi haineux et noir, était calme. On peut le dire sans peur d'exagérer : l'un dans l'autre, Hayden se sentait bien. Très bien, même.

La mercenaire récupéra ses affaires, enfila son manteau, vérifia qu'armes et bagages étaient toujours là et en bon état, et remonta lentement les marches menant au bar. Son regard glissa sur les combattants du soir qui prenaient un verre tandis qu'elle sortait, indifférente. Boire avec eux en parlant de conneries l'intéressait moyennement.

Sortie, elle s'arrêta deux secondes devant la porte, le temps de s'allumer une cigarette. Après que sa main eut fait coupe-vent, tête baissée, pour protéger la flamme de son briquet, elle releva les yeux sur la rue, et sur la ville, avant de se mettre doucement en route. Pas envie de dormir. Trop tard pour se barrer. Comme un flash sans rapport direct avec la situation, alors qu'elle expulsait un peu de fumée d'entre ses lèvres, il lui vint à l'esprit un calcul rapide qui l'informa non sans un certain effroi que ça devait faire au moins deux ans qu'elle n'avait pas baisé. Ou trois.

Quelle vie à chier...